Publication du rapport d'activité de la CNCTR pour 2023
La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) rend public son huitième rapport d'activité.
Elle y présente les constats dressés lors de ses contrôles au cours de l'année 2023.
Elle livre ses réflexions sur certaines « zones grises » de la surveillance à travers deux études : l’une porte sur les enjeux et limites de la surveillance administrative lorsqu’elle s’attaque à la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ; l’autre précise le cadre juridique applicable lorsqu’on entreprend de surveiller une « cible » par l’intermédiaire de son entourage, membres de la famille, proches ou relations.
Ce huitième rapport comporte également une partie nouvelle. La Commission a en effet jugé utile d’apporter un éclairage sur des évolutions qui, sans concerner spécifiquement le renseignement, sont susceptibles d’apporter à son activité, directement ou indirectement, des mutations profondes. Sont en premier lieu visés les très rapides progrès de l’intelligence artificielle. Le rapport évoque également le développement commercial des produits permettant la cyber-intrusion, à travers une contribution de l’ambassadeur pour le numérique, Henri Verdier, et du sous-directeur en charge de la cyber-sécurité au quai d’Orsay, Léonard Rolland.
Consulter le rapport d'activité 2023
LE CONTRÔLE A PRIORI
La commission rend un avis (favorable ou défavorable) à chaque fois qu’un service veut recourir à une technique de renseignement. Ces avis ont toujours été suivis par le Premier ministre lorsqu’ils étaient défavorables. Il n’en est pas allé différemment cette année.
Comme dans ses précédents rapports, la CNCTR publie un décompte précis, pour chaque type de technique de renseignement, des demandes de surveillance dont elle a été saisie, et fait apparaître leur évolution sur la période récente.
Tant le nombre de personnes surveillées que celui des techniques utilisées ont augmenté en 2023 par rapport à l’année précédente.
94 902 demandes de techniques de renseignement (+6% par rapport à l’année 2022 et +29,1% par rapport à 2019, première année du suivi statistique) ont été présentées par les services de renseignement s’agissant du volet domestique.
24 209 personnes ont été surveillées par des techniques de renseignement (+15% par rapport à 2022 et +9% par rapport à 2019). Cette augmentation est à mettre en lien avec l’évolution de la menace en nature comme en intensité.
Pour la première fois, la prévention de la délinquance et de la criminalité organisées devient le premier motif de surveillance en nombre de personnes concernées. 7 058 personnes ont été surveillées par des techniques de renseignement sur ce fondement, soit une augmentation de 29% par rapport à 2022.
Le nombre de personnes surveillées au titre de la prévention du terrorisme, en diminution depuis plusieurs années du fait du démantèlement des réseaux, connaît une légère hausse par rapport à l’année 2022 (+7,5%) ; 6 962 personnes ont été surveillées par des techniques de renseignement sur ce fondement. Par ailleurs, la prévention du terrorisme demeure la finalité la plus invoquée en nombre de techniques mises en œuvre (37,6% des demandes). Cette forte sollicitation des techniques est révélatrice de l’intensité de la surveillance.
S’agissant de la prévention des violences collectives. 2 551 personnes ont été surveillées en 2023 pour ce motif, contre 2 692 en 2022 et 3021 en 2019 (-15,6% par rapport à 2019). Mais cette tendance à la baisse va de pair avec une stabilité du nombre des techniques utilisées dans un contexte où les activistes savent de mieux en mieux se protéger.
Ce rapport témoigne enfin d'une mobilisation croissante des services de renseignement contre les ingérences étrangères. Cette finalité représente désormais plus de 20% du nombre total des techniques, comme du nombre des personnes surveillées, soit une part nettement supérieure à celle constatée les huit années passées. L’exploitation de la surveillance des communications internationales a également connu un accroissement sensible (3981 demandes, contre 3715 l’année précédente).
Si, comme les années précédentes, les techniques les moins intrusives, consistant à recueillir des métadonnées, restent les plus utilisées (près de 60% des demandes de techniques de renseignement), les services ont davantage recouru en 2023 à des techniques plus intrusives pour la vie privée : les demandes de sonorisation, de captation d'images dans un lieu privé ou de recueil de données informatiques affichent une progression soutenue sur un an : +14,7% de demandes en 2023 pour la captation de paroles prononcées à titre privé et la captation d’images dans un lieu privé par rapport à 2022 ; + 5,5% pour la captation de données informatiques.
En 2023 a par ailleurs été accordée une nouvelle autorisation de mise en œuvre d’un algorithme destiné à détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste. Cela porte à cinq le nombre d’algorithmes autorisés depuis l’ouverture de cette technique aux services de renseignement en 2015.
Cette intensification de la surveillance a bien intégré le respect de la loi : le nombre d’avis défavorables rendus par la commission sur les demandes de surveillance a connu une baisse de 20% (775 avis défavorables contre 974 en 2022), toute techniques confondues, par rapport à l’année 2022, soit un taux de 1,2% du total des demandes contre 1,6 % en 2022. Ce résultat s’explique sans doute par les progrès des agents dans la maîtrise du cadre légal, avec un important travail de formation mené par les services et, de la part de la commission, une politique d’échanges approfondis et de diffusion de la doctrine.
LE CONTRÔLE A POSTERIORI
La commission ne se borne pas à donner un avis sur la légalité du recours aux techniques de renseignement. Elle contrôle en aval l’usage qui a été fait de celles-ci.
Avec 136 contrôles sur pièces et sur place réalisés en 2023, tous services confondus, la commission a atteint, à moyens humains quasiment constants, le plus haut niveau de contrôles a posteriori depuis sa création en octobre 2015.
Comme dans ses précédents rapports, la CNCTR constate que les services de renseignement, désormais dotés d’entités en charge de la diffusion et du respect du cadre légal, ont réalisé de sérieux efforts pour assurer le respect de la loi dans l’usage qui est fait des techniques. Ces efforts ne sont toutefois pas parvenus à prévenir l’ensemble des manquements, dont certains sont d’ailleurs récurrents.
Les irrégularités relatives aux modalités de mise en œuvre des techniques (irrespect du périmètre, du champ d’application, par exemple, recueil de propos de personnes dont la surveillance n’a pas été autorisée…) sont les plus sensibles. Elles se sont fortement raréfiées.
En revanche, les anomalies dans les conditions d’exploitation du produit des techniques, certes moins graves, présentent une récurrence préoccupante.
La commission note avec satisfaction les progrès, réalisés ou à l’état de projets, pour faciliter les conditions de son contrôle. Le nouveau dispositif qui doit être opérationnel en 2027, permettant d’effectuer des contrôles de données à distance est à cet égard crucial. Pour autant, avec un effectif très limité (13 chargés de mission) pour, tout à la fois, examiner un volume sans cesse croissant de demandes de techniques et assurer le contrôle de leur mise en œuvre, la commission atteint désormais les limites de sa capacité.
PERSPECTIVES D’ÉVOLUTION DU CADRE LÉGAL
L’année prochaine, le législateur devra intervenir s’il entend proroger la possibilité de procéder à des interceptions de téléphonie satellitaire. Ce sera l’occasion d’apporter quelques corrections au cadre légal et de faire en sorte que celui-ci assure un meilleur respect des exigences résultant de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le rapport de la Commission contient quelques propositions en ce sens.
Résumé du cadre légal
La CNCTR est une autorité administrative indépendante créée par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement.
Elle est chargée de veiller à ce que les techniques de renseignement soient légalement mises en œuvre sur le territoire national par les services habilités à y recourir dans le cadre de leurs missions de police administrative.
Elle vérifie, en exerçant un contrôle a priori sur l’ensemble des demandes de mise en œuvre de techniques de renseignement et un contrôle a posteriori sur l’exécution des autorisations de mise en œuvre accordées par le Premier ministre, que les atteintes portées à la vie privée sont proportionnées à la gravité des menaces ou au caractère fondamental des enjeux invoqués par les services de renseignement.
Elle exerce également ces deux types de contrôle sur la surveillance des communications électroniques internationales.
Son contrôle s’étend à l’ensemble des services habilités à mettre en œuvre des techniques de renseignement. Il couvre les activités des services spécialisés de renseignement, dits du « premier cercle » (DGSI, DGSE, DRSD, DRM, DNRED, TRACFIN), et des services, dits du « second cercle », qui exercent des missions de renseignement. Ces derniers se trouvent notamment au sein de la DGPN, de la DGGN et de la préfecture de police, ainsi que de l’administration pénitentiaire.